" LEUR NUIT EN PLEIN JOUR "
Leur théâtre, c'est un poème vivant à grimper direct au ciel. C'est comme un jardin sauvage, un jardin à naître où l'on peut rêver de tous les jardins : Prends ma main semble te souffler chaque acteur ou actrice. Cinq doigts fermés autour des tiens : c'est le plus beau cadeau du monde. Cela préserve de la peur, du doute, et de l'abandon. Une main offerte, c'est un monde nouveau; deux bras ouverts, c'est le miracle!
La personne handicapée, quelle qu'elle soit, n'a plus d'âge au théâtre. Sur la scène, par le mouvement de son corps retrouvé et unifié, spontanément, elle efface d'emblée les gestes inutiles, les gestes sans message, les gestes sans amour. Il n'y a plus de gestes inutiles quand ils servent à la joie vécue et communiquée. Foin des lois de la psychomotricité et de la logique des docteurs! Nous sommes en face d'un monde médiatique transcendé : par le théâtre et grâce à lui, la personne handicapée devient coextensive à l'espace; elle prend littéralement possession du monde; elle s'y intègre comme tout naturellement en nous entraînant avec elle, non par l'effort, mais par le plaisir, vers cette beauté intérieure miraculeusement découverte et révélée qui fait dire au poète : "Même quand elle marche, on dirait qu'elle danse...."
(Beaudelaire)
Leur théâtre est aussi ce lieu privilégié où la personne handicapée peut "mettre sa nuit en plein jour", selon le beau mot de Cocteau. Bien mieux qu'un psychodrame à la Rogers où le "défoulement" est comme un enfantement dans la douleur, c'est plutôt un "éclatement vers" toi, spectateur surpris, pour un dialogue et un partage sur le mode du plaisir et de la joie. Il y a des mots qui font vivre. Il faut les inventer, les sortir de soi, du plus profond de l'être. Ce n'est pas Eurydice, comme pour Orphée, qui viendra les chercher. Ce ne sont pas des mots qu'on tire de sa poche comme une pièce de monnaie salie et usée. Il ne suffit pas de les sentir en soi, il faut les "extirper" pour les exprimer. Or, cette même personne handicapée qui, dans la vie courante, n'ose pas se dire, ni proférer une seule syllabe et qui, souvent, par peur du ridicule, ravale ses mots avec sa salive, tu vas la voir se transformer sur cette scène en oracle prophétique. Fini le doute! Loin l'horrible et frustrante timidité! Elle va se communiquer en entrant en communion avec toi. Le langage qui semblait "cassé" en elle comme un jouet de Noël, le voici soudainement renoué, sublimé et partagé.
Regarde bien, spectateur et sois à l'écoute, attentif à ce qui va se passer : Le Verbe va prendre vie dans la bouche de ces jeunes acteurs et actrices. Ils vont t'interpeller, te tutoyer jusqu'aux fibres les plus profondes de ton cœur et ce qu'ils t'offrent, c'est quelque chose que ni le temps, ni les rides, ni les infirmités ne pourront abîmer : c'est le don des faibles, des vulnérables, des sans cuirasses, des simples sans compromission possible. C'est, en un mot, le don de celles et ceux qui ne peuvent vivre sans aimer. C'est la compréhension qui dépasse la tolérance - le perce-neige au cœur du froid - les amis retrouvés - leurs mains ouvertes, non pour quémander, mais pour t'accueillir.
Jean-Louis Midaly, psychologue
